Deux heures et demi du matin. J’ouvre un œil. Télécommande : je fais disparaître la mire de la télé. Je m’extrais du canapé. Je titube un peu, la marche est pénible. Je me traîne jusqu’à la chambre. Attention, pas d’agression pour mon esprit embrumé, pour mes yeux embués : lumière douce, lampe de chevet. Le lit, enfin : je m’allonge sur le dos, et c’est là que je le vois. Posé sur la moustiquaire, un mètre au dessus de mon visage, tenu par deux bougies qui font masse pour éviter qu’il ne s’envole, elle m’a laissé un dessin.

Il y a la maison, bleue bien sûr, et sa salle de bains jaune. Je suis là aussi, avec à mes côtés le plus gros de mes chiens. Un bananier à gauche, un palmier à droite : impossible de ne pas reconnaître tous ces détails dans l’exactitude de ce dessin. Quelques mots l’accompagnent: « C’était super ! ».

Oui, elle a raison, c’était super. J’ai adoré son enthousiasme tous azimuts, son enchantement à cueillir une mangue dans le jardin, ses hurlements de peur suraigus à la vue d’une petite sauterelle, ses moments de bouderie, ses instants de tendresse, sa passion pour mon chat, ses grosses larmes chaudes quand la voilà contrariée, ses yeux qui s’éclairent soudain, puis elle court vers une destination connue d’elle seule.

Elle est venue trois semaines en vacances à la maison, avec ses parents mes amis. Elle a apporté avec elle ses peluches, ses chants et ses rires, ses blagues et ses questions de petite fille. Elle a rempli cette demeure de fleurs cueillies, de bracelets faits de feuilles de fruit de la passion assemblées avec des cure-dents, de graines ramassées çà et là et dont on fera des colliers un jour, d’écailles de poisson sur la plage, de la vie qui semblait avoir déserté ces murs depuis deux ans maintenant.

Elle est partie, et le bleu ciel des murs s’est assombri en bleu nuit. Je fuis la maison pour ne pas y croiser l’absence, j’y retourne au dernier moment, et là, je m’abrutis devant la télé jusqu’à ce que le sommeil me prenne.

Elle est partie, elle a neuf ans. Neuf ans, c’est l’âge qu’aurait eu Mimi dans trois semaines.

Sur son dessin, il y a aussi une araignée au plafond.

Montjoly, le 12 novembre 2004
Catégories : Nouvelles

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