28 Mars, 23h50. Pas foutu de dormir, moi. Je me tourne et me retourne sur mon matelas posé à même le sol. Et cette envie -ou ce besoin, va savoir- d’écrire, comme à chaque fois que je vis quelque chose de palpitant. Impossible d’effacer ce sourire de mes lèvres. Béat, je suis béat! Je suis scié en m’en apercevant.

Le sourire de la première fois n’est pas descriptible. Comme son nom l’indique, il est rare. Il arrive, on le reçoit, on l’aime, il s’en va et on l’oublie. Jusqu’à la prochaine première fois. Et là, on se demande pourquoi il est resté si longtemps absent et surtout comment on a pu l’oublier. Il est si empreint de douceur, de sérénité, il apaise tant le corps et l’esprit.

Première fois… Premier grand vol en parapente, premier sommet gravi avec ce sac qui vous scie les épaules, et ces cochonneries de skis affublés de leur « peau de phoque » (12 kg chacun, j’exagère à peine), premier vol en « coucou » au dessus de Cayenne. Et puis d’autres, plus classiques : premier vélo, première mob, première voiture. Et la première fois que l’on fait l’amour avec l’être qu’on a désiré. Tout ça vous laisse sur le visage ce petit sourire rêveur ; sourire égoïste, puisqu’on est le seul à véritablement l’apprécier. Le garagiste t’a pourtant bien arnaqué en te refourguant cette vieille 104 pourrie, qui traînait dans un coin de son garage depuis 3 ans. Toi imperturbable, rien à secouer, le bonheur, c’est ta roue de secours ou ta durite de rechange. Tu es le roi du monde, c’est ta première caisse et tu souris.

C’est donc la première fois que je vais dormir (enfin peut-être) dans ma maison. Déjà dans l’après-midi, alors que je réalisais à peine que ce serait ma première nuit, j’ai commencé à vivre ce que j’avais imaginé, puis transcrit dans mes dessins : le contact et la vue du bois tout autour de moi, la lumière du jour qui filtre a travers les lattes plus ou moins ajourées, et dîner dans la pièce principale, entre cuisine et séjour, entre dedans et dehors, entre béton et bois. Le vent frais du soir qui traverse la maison de part en part, le soleil à droite le matin, à gauche le soir. La colline du Rorota qui bruisse derrière, du concert des grillons et des grenouilles.

Et que cette douche était bonne, fenêtre grande ouverte sur la forêt amazonienne. Et se promener nu, tarder un moment avant d’aller se coucher.

La chambre. Lumière éteinte. Persiennes mi-closes. Porte grande ouverte sur la terrasse qui donne sur l’embouchure du Mahury, seules clignotent les lumières vertes et rouges du chenal qui passe près de l’îlet « la Mère », là-bas sur la gauche. Je me dis que je vais aller faire un tour sur la terrasse, juste pour le plaisir d’apprécier un peu plus le paysage nocturne. Et là, une luciole entre dans la chambre. C’en est trop ! C’est sûr, je ne pourrai pas dormir tout de suite. Il faut que je leur dise, que je le leur écrive !

Je rallume, fouille les cartons, trouve enfin un câble d’alimentation pour brancher mon ordinateur. J’éteins à nouveau toutes les lumières pour taper sur mon clavier sans déranger Réjane qui -je l’espère- dort de l’autre côté de la cloison. Difficile de me relire, tous les insectes du coin se sont donnés rendez-vous sur la surface de mon moniteur, seule lumière tangible à 100 mètres à la ronde. Difficile aussi de vous envoyer ça ce soir, il faudrait à nouveau plonger dans ces satanés cartons à la recherche de mon câble de modem.

À vous de patienter un ou deux jours.

Montjoly, le 28 mars 2001
Catégories : Nouvelles

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