J’ai reçu la semaine dernière un courrier de l’INSEE. Pour tout dire, j’ai un (tout petit) différend avec l’INSEE depuis quelques années, depuis ce beau jour de ma première rencontre avec une enquêtrice contractuelle. Je n’en dis pas plus, vu que le résumé de l’histoire est dans le courrier de réponse qui est reproduit ci-dessous.


Monsieur,

J’ai reçu ce jour un questionnaire relatif aux entreprises créées ou reprises en 2010. La réception de ce courrier m’amène à vous narrer une anecdote fort cocasse.

Il y a quelques années, j’ai reçu à mon domicile une enquêtrice de l’INSEE, qui était venue me voir pour une étude que vous meniez alors sur la consommation des ménages. Après quelques questions d’ordre général, je croyais en avoir fini. Que nenni ! Quelle ne fut pas ma surprise de me voir exposée alors la suite des événements auxquels j’étais appelé à participer : je devais pendant plusieurs semaines (un mois à mon souvenir) noter toutes mes dépenses, et de préférence ticket de caisse à l’appui !

Je me suis donc plié à ce rituel, et pendant un mois, ai collecté, organisé, archivé, collé dans un petit agenda tous mes tickets de caisse, ajoutant d’une écriture fine mais néanmoins assurée les quelques dépenses n’ayant pas fait l’objet de délivrance de ticket, et précisant même face aux prix des tickets, les articles qui leur correspondaient. J’ignore si vous vous êtes déjà plié à ce petit rituel, mais ce qui a été présenté comme un jeu par une enquêtrice peut vite devenir une lourde contrainte. C’est pourquoi je voyais arriver avec plaisir la fin de ce mois kafkaien !

J’ai alors appelé mon enquêtrice, et ai laissé sur sa boite vocale un message lui annonçant la bonne nouvelle : j’avais réussi, et mon méticuleux travail allait sans doute faire la joie d’un de vos analystes ; la France aurait un meilleur savoir de la consommation de ses ouailles, la crise était vaincue, le soleil brillait, tout était calme.

À ce jour, votre enquêtrice ne m’a toujours pas rappelé, et je crains avoir balancé mon petit agenda depuis fort longtemps. N’ayez crainte que ces informations ne tombent entre des mains malveillantes, j’ai le souvenir de l’avoir brulé, non sans l’avoir au préalable découpé en de tout petits morceaux et arrosé à l’acide.

C’est pourquoi vous comprendrez aisément que je ne puisse répondre de façon favorable à votre enquête auprès des entreprises créées ou reprises en 2010. J’aurais trop peur que ce courrier se perde entre mes bureaux et les vôtres, ou pire, qu’il tombe entre les mains de cette même enquêtrice malveillante. Car soyez-en persuadé, vous avez une traître dans vos locaux. Dieu seul sait comment seraient traitées les précieuses données dont vous me demandez la teneur.

Cependant, il faut bien trouver une solution, car vous avez bien voulu me rappeler discrêtement (en caractère gras, corps 72) à chaque page de votre courrier le caractère obligatoire de ma réponse. Il est donc hors de question que je m’y dérobe, et en plus que j’encoure l’application d’une amende administrative dont vous me menacez presque déjà.

Soyez persuadé que je ne refuse absolument pas de répondre à cette enquête. D’ailleurs, remplir votre questionnaire m’aurait pris bien moins de temps que de vous écrire cette longue lettre. Mais je pense qu’il faut que vous ayez bien conscience de ma probité dans cette affaire et des enjeux en cours. Aussi, je vous propose de m’envoyer votre enquêteur de confiance, votre « Eliot Ness » de l’INSEE, auquel je répondrai alors avec grand plaisir. Je mets à votre disposition mon secrétariat afin de convenir de ce rendez-vous à venir.

Espérant avoir œuvré dans l’intérêt de la France et de ses belles études statistiques, je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

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